mercredi 5 octobre 2011

Le crevard céleste


Il ne restera rien de lui.
L'homme va crever, on va le pendre.
C'est un crevard, un pauvre écrivain sans le sou, qui n'a plus qu'une chose, des dettes, des ardoises dans les bars, les cafés. Cet homme des tavernes le sait, il ne laissera rien, il n'en restera rien.
Il fait par conséquent la seule chose à faire : son testament.

Puis il s'éclipse, disparaît, pouf, le magique dragon, on perd sa trace.
Plus de trace derrière cette trace, ce testament.
Ainsi vécut, disparut, apparut François Villon.


Et là, Vlan, on nous sort le remake ce mois-ci chez LaureLi, Villon II, le retour. Il est back in town et il n'est pas content l'highlander, il a soif, de vengeance et de binouzes.

Mais ce Villon II est malin, ce n'est pas de la fripouille rance à la Jacquouille, il revient du moyen-âge à la page équipé comme il faut, tout refait, et bien fait. Cave & grenier.

Son nouveau nom ? Manon Christophe.
Son nouveau livre ? Le testament, pardi.
Et c'est parti...

Oh puis ,non, il nous faut partir sec.
et s'imbiber avec.
Gouleyer encore un gorgeon avant de s'y attaquer, s'imbiber goulûment, s'en jeter
un
deux
un, deux, trois


Bien sais, se j'eusse étudié
Ou temps de ma jeunesse folle,
Et a bonnes mœurs dedié,
J'eusse maison et couche molle.
Mais quoi? je fuyoie l'école,
Comme fait le mauvais enfant.
En écrivant cette parole
A peu que le cœur ne me fend.
Le dit du Sage trop le fis
Favorable, (bien en puis mais!)
Qui dit: "Ejouis toi, mon fils,
En ton adolescence." Mais
Ailleurs sert bien d'un autre mets,
Car "jeunesse et adolescence",
C'est son parler, ne moins ne mais,
"Ne sont qu'abus et ignorance."
"Mes jours s'en sont allés errant
Comme, dit Job, d'une touaille
Font les filets, quand tisserand
En son poing tient ardente paille."
Lors, s'il y a nul bout qui saille,
Soudainement il le ravit.
Si ne crains plus que rien m'assaille.
Car a la mort tout s'assouvit.
chez Villon, devient Manon :

Certes, si j'avais étudié quand j'étais jeune
et si j'avais été plus raisonnable
j'aurais maintenant un bel appartement
et un lien bien douillet
mais je préférais courir les filles
et boire des coups

mes jours sont partis en fumée
exactement comme dit la chanson
telle une clope qu'on allume
et que voilà déjà consumée :
il ne reste bientôt plus qu'un mégot

je n'ai donc plus rien à craindre
la mort viendra sans tarder tout liquider


Et nous voilà bien. L'affaire est belle. Nous retrouvons Villon, ses tavernes, clins d'yeux et blagounettes privées, nous retrouvons sa vigueur vitale insufflant à la mort plus de vie que de lamentations chouinardes.
Pour le même prix, Manon nous offre, en plus,
Manon, mais pas en bonus,
en double bien senti, recollant sur les beuveries finales du poète pré-pendouillé notre jeunesse enfuie, partie dans le vent, fondue comme neige, gerbée comme un moine trappiste de Jeanlain, en 1664.
Manon traduit
mais pas only,
il rajoute sa sauce. Il actualise, certes, lexique et références mais il est bien malin et s'attaque au vers villonesque pour le démonter, lui arracher son beau rythme médiéval impossible à imiter sans tomber dans la vieillerie, sans vouloir imiter le père François. Par conséquent, il prosifie le vers, le manonise sauce Manon, en fait sa chose, domptée en bête indomptable, éprise de la liberté du scélérat.
Sans compter que l'édition est belle, incluant un bon vieux Pastiche 51 que Manon m'avait servi, on the rocks, du temps de nos jeunesses, dans mon TAPIN où boxon tenions notre état. Tout ça sous une couverture parfaite de Vincent Sardon, avec des squelettes, ce qui, vous le savez, ne peut que me seoir.
Et pointe alors l'envie irrépressible de sortir, corde au cou, dans la nuit s'en jeter un dernier, avant la route, avec Vincent, François, Christophe, et les autres...

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire