dimanche 4 juin 2017

Emmanuel Macron a essayé, il a eu des problèmes

J'aime bien, depuis que j'ai bossé sur Microfilms (et que je me suis intéressé au boulot d'Antoine Boute qui travaille aussi cela), réfléchir sur les ressorts linguistiques et narratifs des blagues.
Grand amateur de Laspalès et Chevallier, cité en meeting comme lors du débat du second tour, Emmanuel Macron est au centre d'une polémique après sa "blague" sur les comoriens.





Là, cette "blague" de Macron repose sur deux trucs. Le premier, qui suffisait à faire un trait d'esprit, c'est que ces barques servent surtout à ramener des comoriens.C'était une blague sur les barques. Le second élément repose entièrement dans le "du" partitif. C'est une blague sur les hommes.
C'est ce qui choque, qui est relevé. Les acceptions sont claires. Tout est dans le choix, l'emploi du singulier qui transforme un partitif pluriel perçu à l'oreille inattentive comme article indéfini (des comoriens) en partitif clair et net (du comorien). Le fait que ce soit un partitif n'a rien de choquant ou de dégradant. Le choix du singulier si.
Ici dans la définition du sens 2 (onglet partitif) du CNRTL, on pourrait avoir un "du" pour des humains dans les acceptions I-A2 c ou d.
Clairement ici le partitif "du" employé est celui de l'acception I-A 2a, il appelle un horizon d'attente sur une espèce de poisson, et la chute de la "blague", c'est la découverte qu'il s'agit d'êtres humains. Cela se corrèle avec le premier effet sur les barques.
Il mêle une synecdoque (Le comorien pour des comoriens), et une métaphore (comoriens=prise de pêche).
Ce qui est sûr c'est que, en y regardant de plus près, la remarque comique "fonctionnait" sans cela (Les barques ramènent surtout des comoriens) elle est limite, mais acceptable même d'un chef d'état. Mais l'effet "comique" est amplifié par cette seconde blague dans la blague (les comoriens, prise de pêche), clairement cynique et déshumanisante. Celle-ci choque.
Toutefois, c'est souvent le but d'une bonne blague, choquer, pour provoquer une angoisse brutale évacuée par le rire. De nombreuses blagues, drôles, reposent sur des horreurs. Des pensées immondes et inacceptables. Celles que l'on rejettent. Et parce qu'on les rejettent violemment, la blague fait rire. Catharsis.
Celle-ci aussi, ce n'est donc pas une "mauvaise blague en elle-même.
Elle est mauvaise à cause de la situation de communication. Qui la dit : non pas un homme mais l'état représenté par un homme.
Qui est destinataire ? là, on ne sait pas, des gens autour qui connaissent la situation.
Qui la reçoit ? tout le monde : et là, déjà il faut expliquer la blague. Elle est donc déjà viciée, vidée de tout effet comique, puisque vidée de la surprise de la chute qui crée l'horreur, donc le rire.
C'est le souci notamment de la blague raciste.
Véhiculée entre racistes (ou par un non-raciste à un public raciste) elle n'est pas drôle car vidée de la surprise horrifique. Ils y souscrivent, elle n'est même pas drôle pour eux.
Véhiculée par un raciste à un public non raciste elle devient simplement atroce, c'est une parole raciste décomplexée.
Véhiculée par une personne clairement dénuée de toute intention raciste à une autre personne, à un cercle clairement dénué de tout racisme, elle fait rire par son horreur expurgée, catharsis. Et rires aussi sur la connerie de parole raciste démontée.
Enfin, il y a, et c'est ce schéma là qui est (possiblement, espérons-le du moins car rien n'est sûr) en œuvre avec Macron, le cas d'une blague raciste (ou méprisante, déshumanisante) d'un non-raciste à un public très large (même involontairement), elle s'adresse donc à des racistes qui la prennent au premier degré, et à des non-racistes qui (après le premier désamorçage de l'explication nécessaire dont nous avons parlé) se demandent qui leur parle et si cette parole est raciste ou est une connivence (doute, deuxième désamorçage). Sans la surprise, sans la connaissance parfaite de la pensée de l’émetteur, ne reste que l'atrocité.
L'erreur est donc dans le fait de s'adresser à la France et non de faire une blague en privé entre gens consentants (racistes entre eux, non-racistes entre eux). Macron n'a pas évalué la situation de communication : il parle à en présence d’une caméra.
La fameuse phrase de Desproges est à décortiquer. On peut rire de tout, mais pas avec tout le monde. "Avec tout le monde" ce n'est pas seulement "avec n'importe qui", c'est aussi "avec la totalité du monde". Et "rire de tout" ce n'est pas "faire des blagues sur tout", il y a "rire", c'est à dire, à la fois l’émission mais surtout la réception (et le "avec" de la situation complète de communication). Bref, On peut faire des blagues sur tout à un public qu'on ne maîtrise pas, divers, mais dans ce cas, cela ne fait pas rire, ce n'est donc plus une blague, mais une simple parole publique au sens littéral.
Il a donc tout bonnement proféré une horreur.
"Faire une blague" à "tout le monde", c'est ne faire "rire" "personne". On ne peut faire rire une nation car l’émetteur (l'etat personnifié) et les récepteurs (60 millions de sensibilités, des Lepenistes, des anti-racistes et humanistes) ne sont à même de partager une connivence. Il y a méprise entre destinataire (flou, non identifié, pas par nous en tout cas) et récepteurs. Il y a couille dans le pâté entre le parole publique et parole privée. La parole publique ne peut être blague (sinon,à la Obama, sur soi-même). Monsieur Macron, encore un effort pour être Chevallier et Laspalès.

La blague, c'est du sérieux. Laissez faire les professionnels.

jeudi 1 juin 2017

Le livre que je ne voulais pas écrire - Erwan Larher (Quidam éditeur)

I read a book today, oh boy !

De l'avantage d'être un happy few. Je fais partie des quelques chanceux qui auront reçu  Le livre que je ne voulais pas écrire  d'Erwan Larher en primeur, il sort pour la rentrée littéraire. C'est un bouleversement. Ce serait mentir de dire que c'est un des livres importants de la rentrée car ce serait réducteur : c'est un livre important. Point. Important tout court.
Je me suis toujours foutu des histoires. Les récits et les suspenses, ce n'est pas mon truc. Les thèmes, les sujets, je m'en contrefous.
Il se trouve que, là, dans un premier temps, je ne peux faire l'impasse. Ado, Erwan Larher découvre le rock, la littérature.
Son amour du rock le mènera au Bataclan un terrible soir de novembre 2015. Il sera blessé par balle.
Son amour de la littérature, lui, le mènera à ce livre, ce grand livre qu'il ne voulait pas écrire. Mais qu'il fallait écrire. Il ne s'agit pas d'un « récit de vie », d'un témoignage, d'un « Bataclan comme vous ne l'avez jamais vu ». Non, oubliez, mettez de côtés vos appréhensions, vos réticences. Il s'agit de littérature. Il s'agit d'un écrivain. D'un vrai, avec toute sa conscience d'écrivain face à l'écriture et donc avec toute sa JUSTESSE. Erwan Larher aborde l'inabordable avec une intelligence incroyable, à juste distance de tout. Il ne fait pas un livre « sur », mais réussit un livre « autour ». Autour de lui, là, là où il ne fallait pas être. Comment il s'est retrouvé là : la découverte du rock, les rencontres, les coïncidences, les mouvements. Ce qui se passe autour de lui, là : avant, pendant, après. Ce qui se passe en lui : le corps, l'esprit. Ce qui se passe autour de lui ailleurs : les amis, les amies, la famille. Comment il en est, s'en est sorti. Et la suite, l’hôpital, la vie, le corps, l'espoir, l'amour.
Il est clair que cela vous happe, vous prend, ne vous lâche pas. Mais si cela vous prend, vous happe, ne vous lâche pas, ce n'est pas à cause du sujet. Ce sujet, n'est pas un sujet possible. Il ne devrait pas être possible à traiter. Ce devrait être trop difficile, trop complexe, trop de pathos possible, d'affects, de maladresses inévitables. Larher évite tous les pièges. Il a évité la mort de si peu, alors, un piège d'écrivaillon, vous pensez... Il est juste, juste juste. Il aime et connaît la littérature. Les formes connues, ces saletés de suspenses manipulateurs, ces descriptions tire-larmes n'ont pas leur place ici, on ne joue pas avec ça, pas là. Il crée donc un objet littéraire adapté, il fabrique, construit, bricole. Le bon, le seul verbe juste serait "Poiën". Il crée sa forme, la forme idéale, celle qui contient & qui est le propos. Il s'agit totalement de littérature, cet art difficile du « comment dire » qui est à l’œuvre. Imposée par le « comment dire ça ». Il sait qu'un travelling est affaire de morale. Ici, ce ne sont pas juste des mots, mais ce sont des mots, les mots justes. Tel choix de pronom, son évolution. La construction qui nous éloigne pour mieux nous rapprocher de lui grâce à des vipères, à une  évidence qu'on ne met pas à distance. L'apport de textes extérieurs également, car s'il est au centre, Larher ne cesse de rayonner, d'ouvrir sur l'autre, les autres, victimes, bourreaux, proches, amantes, pompiers, personnel hospitalier. C'est un livre ouvert, irradiant la vie, l'espoir et l'amour comme on ne peut l'exprimer qu'après avoir côtoyé la mort. C'est surtout un putain de bon livre les amis. Un putain de bon livre comme vous en lirez peu. Il vient vers vous. Il va venir à vous. Il arrive. Il vous ouvre les bras. N'ayez pas peur, c'est un bon livre mais aussi un livre bon, c'est notre livre. On en avait besoin. C'était impossible, il l'a réussi. Pour lui, pour eux, pour nous. On n'est pas seulement admiratif, mais reconnaissant. Mahmoud Darwich expliquait que les Troyens avaient perdu contre les Grecs, non pas pour des raisons militaires, mais parce qu'ils n'avaient pas de poètes pour raconter, eux. Ceux qui ont essayé de répandre la terreur ont perdu ce jour là. Ils ont, hélas, arrêté des vies, mais ils ont perdu, car eux, forces obscures, n'auront jamais ce poète pour partager cela ainsi.Nous si.
Il n'a pas que l'amour qui soit ici une évidence, il y a ce livre. Il est, comme toutes les grandes œuvres, évident.


 Le livre que je ne voulais pas écrire - Erwan Larher (Quidam éditeur)  - Sortie le 24/08/2017


mardi 31 janvier 2017

UBU POTUS & Queen Carlotta

UBU POTUS
Ce matin, j'ai entendu aux infos que Trump virait la ministre de la justice par interim, j'ai pensé de suite à UBU criant : "A la trappe ! A la trappe !".
Rappel ubuesque avant de poursuivre :
PÈRE UBU

C'est tout. Comment, c'est tout ! Oh bien alors, en avant les Nobles, et comme je ne finirai pas de m'enrichir, je vais faire exécuter tous les Nobles, et ainsi j'aurai tous les biens vacants. Allez, passez les Nobles dans la trappe.

On empile les Nobles dans la trappe.

Dépêchez-vous, plus vite, je veux faire des lois maintenant.

PLUSIEURS

On va voir ça.

PÈRE UBU

Je vais d'abord réformer la justice, après quoi nous procéderons aux finances.

PLUSIEURS MAGISTRATS

Nous nous opposons à tout changement.

PÈRE UBU

Merdre. D'abord, les magistrats ne seront plus payés.

MAGISTRATS

Et de quoi vivrons-nous ? Nous sommes pauvres.

PÈRE UBU

Vous aurez les amendes que vous prononcerez et les biens des condamnés à mort.

UN MAGISTRAT

Horreur.

DEUXIÈME

Infamie.

TROISIÈME

Scandale.

QUATRIÈME

Indignité.

TOUS

Nous nous refusons à juger dans des conditions pareilles.

PÈRE UBU

A la trappe les magistrats !
Trump, c'est UBU. Cela me semble assez clair. On retrouve dans ce fat tout  son côté bouffon, son indignité, sa suffisance, sa façon de régner par décret, à l'arrache, gouverné par son égo et sa bêtise. Trump, pas plus qu'Ubu ne réfléchit, il est là pour avoir le pouvoir sans aucune autre vision que celle guidée par des affects, des instincts. Il est misogyne, raciste, impulsif, autocrate et populiste. C'est la bêtise au pouvoir, ses bas instincts pour la pompe à phynances.
Cela dit, rien de nouveau, de nombreux commentateurs, ici en France comme aux USA ont de suite fait ce rapprochement, l'étayant mieux que je ne le fais ici.

Queen Carlotta
Mais, une autre image se télescope. Il y a quelques années, quand j'avais découvert Desperate living de John Waters, j'avais vu en ce film la plus juste adaptation possible d'Ubu. Même provoc, même trash, même bricolage et cela en plus, bien sûr, des points communs scénaristiques qui étaient nombreux. Dans ce film, le père Ubu prend la forme de Queen Carlotta, jouée par Edith Massey, formidable personnage de freak comme les adore Waters.
En imaginant Ubu avec la chevelure jaune de Trump, FLASH, j'ai vu Queen Carlotta. C'est lui.  Comme une évidence. Il suffit de revoir des extraits, où elle crache son mépris à coups de "Hi stupid, Hi ugly !" pour se croire à une conférence de presse du président.
Voilà donc pourquoi ce personnage de Trump me si semblait si familier... Il était là, déjà présent dans mon imaginaire.
Il faut donc, de toute urgence, relire Jarry, revoir Waters, et rechercher les nouveaux Jarry,  les nouveaux Waters qui vont apparaître. On peut aussi espérer que Waters parvienne enfin à phynancer un nouveau film, ça ferait beaucoup de bien à l'Amérique qu'on aime.