mercredi 5 septembre 2012

Un chatouilleux pinceau mal placé

"Plus que l’écriture blanche, une écriture transparente, un non-style revendiqué ou assumé qui, pour le coup, contraste avec celui, devenu classique, du plus lyrique des écrivains contemporains. Sans doute, ceux qui pensent encore qu’il faut impérativement un style (une langue disent-ils parfois) pour faire de la littérature - comme ils pensent sans doute qu’il faut un bon coup de pinceau pour faire de la peinture - trouveront-ils ce livre plat, voire indigne, insuffisamment littéraire." écrivait Sylvain Bourmeau dans sa critique du premier romain d'Aurélien Bellanger dans Libération, le 22 août 2012.

 "Sans le recours au beau style. Sans le paravent de l'esthétique." (Nicolas Demorand à propos du denier bouquin d'Angot, Libération, le 3 septembre)

Voilà mis en évidence, l'inanité du discours de certains journalistes se prenant un peu vite pour des critiques littéraires, parce qu'ils ont un copain Michou, un avis sur le livre qu'ils viennent de lire et de comprendre (certains font un peu mal à la tête).
Et ce discours là, celui du journaliste improvisé critique littéraire, inonde cette rentrée littéraire dans la presse.
Le premier à en faire les frais est Laurent Binet dont le dernier livre  -les journalistes le pensent, en sont sûrs - serait aussi, négativement cette fois-ci, insuffisamment littéraire (cf Libé, le Monde, Les Inrocks où Audrey Pulvar, certainement en manque de grain de sel depuis son départ de chez Ruquier s'y met aussi en édito). Il manque des négations, c'est ça ? Ce n'est pas un "roman" ? (car pour bien de ces gens là, littérature = roman, car déjà, bien sûr, la littérature, est limitée aux livres). Parce que le sujet est politique, l'avis du journaliste politique peut supplanter celui du critique littéraire, allons-y les amis.


Il y aurait donc une jauge journalistique qui permet d'évaluer le taux de littérarité en fonction de la quantité de "langue" utilisée pour produire de la littérature.

Je me pince.
/ peu d'effet /

Je me bouffe une couille.
/ on repart /


"il faut impérativement un style (une langue disent-ils parfois) pour faire de la littérature - comme ils pensent sans doute qu’il faut un bon coup de pinceau pour faire de la peinture"

La langue n'est pas un outil en littérature, pas un truc avec un petit manche en bois et du poil au bout, pas un truc japonais qu'on déplie pour masquer un bout de fesse non plus. La langue EST la littérature et la littérature EST la langue. Il n'y a de littérature que dans la langue, par la langue, de la langue. Il ne peut se concevoir de littérature hors de la langue.  
Un steak est fait de viande.

Je ne sais pas ce que vaut ce bouquin de Bellanger, qui me fait peu envie, mais même sa "transparence" (putain, déjà qu'on se fadait l'écriture blanche chiante comme un cul de laitière) est une langue en soi, un style et non un "non-style". Il est possible (mais rien n'est jamais sûr) que je ne l'aime pas plus que celle, toute bien pourrie, du mou Michel, mais loin de moi l'idée de lui refuser le statut de "langue", bien au contraire.
Pour Bourmeau, Demorand (et consorts*), le style, la langue ne peut être qu'artifice, joliesse... Évidemment, une telle conception, catastrophique, de la littérature existe, chez mémé. Évidemment, ça ne donne pas de la littérature, puisque ce n'est pas ça, la langue, la littérature. Qu'un journaliste écrivant des critiques littéraires puisse concevoir ce qu'est "le style", "la langue" comme pourrait le faire un élève un peu perdu de quatrième C, voila qui est effrayant. Le style, ce "truc en plus" ajouté au discours.... On va bientôt avoir droit à la distinction fond/forme ? à la poésie comme onirisme ? à la recherche formelle comme onanisme ?


  Alors, lorsqu'on vante ici tel ou tel (Angot, Adam, Bellanger...) à tort (ou a à raison qui sait), je piocherai à raison (ou à tort, on verra), personnellement pour ma rentrée littéraire chez ceux là : Emmanuelle Pireyre, Mathieu Larnaudie, Claro, Marie Simon, Claire Guézangar, Lancelot Hamelin, Laurent Binet, Patrick Deville, Jérome Ferrari...

Et je suivrai, curieux, les avis des critiques littéraires compétents : ils ne m’intéressent pas tous, ont souvent des goûts différents des miens, mais certains,  y compris dans ces journaux sus-cités, restent des gens ayant au moins une conscience réelle de ce qu'est la littérature, la langue.

Et je relirai mille fois "A quoi bon encore des poètes ?" de Prigent, et "Ma langue est poétique" de Tarkos. Ce que devraient bien faire certains, au moins une fois.




* Rappelons nous, enragés, l'avis de cette dame niaise sur, il me semble, le livre de Maylis de Kerangal, au Masque et la plume ("il n'y a que de la langue", disait elle en substance ....)










1 commentaire:

  1. J'avais aussi évoqué cet article (enfin... ce papier mal torché) de Bourmeau dans ma critique de Peste et Choléra de Patrick Deville
    http://hermitecritique.wordpress.com

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